Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/124

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lais, et qu’il croyoit estre venu avec Vollichon, sans sçavoir que ce fust son rival). Bedout repartit aussi-tost qu’il l’en remercioit, et qu’il n’estoit pas un homme à estre à charge à ses amis, pour aller ainsi disner chez eux sans nécessité. Et bien (dit Vollichon), je porteray les deux, je mangeray pour luy et pour moy. Gardez bien (dit Nicodeme) de faire vanité d’estre grand mangeur, de peur d’attirer le reproche qu’on fait souvent aux procureurs du Chastelet, de faire mille mangeries. Il n’y a rien qui ait moins de fondement que cela (repliqua Vollichon), car notre mestier maintenant est celuy d’un gagne-petit. Il est vray (dit alors Bedout) que la journée d’un procureur du Chastelet n’est taxée que six deniers ; mais cette taxe est tant de fois reïtérée, et il se passe si grand nombre d’actes en un jour, que cela monte à des sommes immenses. Je ne sçais pourquoy on a souffert jusqu’icy un si grand abus ; et je ne m’estone point qu’il y ait beaucoup de ces Messieurs qui aient fait de grandes fortunes en fort peu de temps. Bedout alloit faire de grandes moralitez sur la justice, car sur ces matieres il estoit grand discoureur, au lieu que sur celle de la galanterie il estoit toûjours muet, quand Nicodeme luy rompit les chiens pour mettre Javotte de la conversation ; et la voyant qui devidoit un peloton de laine, il luy dit assez poetiquement : Quand je vous vois occupée à ce travail, il me semble que je vois une de ces parques qui devident le fil de la vie des hommes ; et comme ma destinée est en vos mains, il me semble aussi que c’est la mienne que vous devidez, de sorte que je crains à toute heure que vos rigueurs n’en couppent le fil. Je n’entends point tout ce que vous dites (répondit Javotte) ; je n’ai point de destinée entre les