Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/144

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ne à contenter messieurs les autheurs : il en vient de sortir un autre qui m’a fait la mesme menace, à cause que je n’ay pas mis son nom à ce rondeau ; et en disant cela il luy monstra un rondeau qui estoit la plus méchante pièce du livre.

Voyla comme les gousts sont différents (dit Laurence). Il y auroit eu bien du plaisir si ces messieurs eussent tous deux executé leur dessein en mesme temps. Pour moy (reprit Charroselles), je ne sçaurois condamner ceux qui taschent d’acquerir de la gloire par ce moyen : car en matiere de poësie (que vous sçavez que j’ay tousjours traittée de bagatelle) je trouve qu’il n’y a point de plus méchant trafic que d’en estre marchant grossier, c’est-à-dire de faire imprimer tout à la fois ses ouvrages, et en donner un juste volume ; la methode est bien meilleure de les débiter en détail, et de les faire courir pièce à pièce, de la mesme maniere qu’on debite les moulinets et les poupées pour amuser les petits enfants. Vostre maxime est assez confirmée par l’expérience (dit Angélique), car elle nous a fait voir des autheurs qui, pour de petites pièces, ont acquis autant et plus de gloire que ceux qui nous ont donné de grands ouvrages tout à la fois, et qui estoient en effect d’un plus grand merite. Ne vous estonnez pas de cela (dit Philalethe) : l’humeur impatiente de nostre nation est cause qu’elle ne se plaist pas aux grands ouvrages ; et une marque de cela, c’est que, si on tient un livre de vers, on lira plus-tost un sonnet qu’une élégie, et une épigramme qu’un sonnet ; et si un livre n’est plein que d’épigrammes, on lira plustost celles de quatre vers que celles de dix ou de douze.

Je suis bien heureuse (dit Hyppolite) qu’on estime en