Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/166

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temps de la mesme force. Les seuls qui en profiterent furent les libraires faiseurs de recueils, qui ramasserent les pieces et les vers que ces amans laisserent courir par le monde, dont ils firent de beaux volumes. Tous les autres marchands n’y gagnerent rien ; il n’y eut aucun commerce de juppes, de mouchoirs, ni de bijoux ; tous les presens furent faits en papier, jusques à celuy des estrennes. Il ne se donna ny bal ny musique, mais seulement force vers de ballet, et force parolles pour mettre en air. Ce qui est fort surprenant et bien contraire à l’humeur du siècle, c’est qu’il n’y eut jamais ny festin ny cadeau ; la promenade, quoy qu’elle leur plust fort, estoit toûjours seiche, et les traitteurs ny les patissiers ne receurent jamais de leurs visites ny de leur argent. Le petit Amour avoit este jusques alors nourry de viande creuse ; voicy par quelle adventure il devint friand : Un jour que sa maistresse passionnée estoit allée chercher la solitude d’un petit bois, où elle confioit quelques soupirs et quelques tendresses à la discretion des echos et des zephirs, il s’estoit tenu un peu à l’escart. La fortune voulut qu’il rencontra un page d’une dame de qualité, à qui on donnoit cadeau dans une belle maison proche de ce bois. Comme il n’y a point de connoissance si-tost faite que celle des chiens et des laquais (sous ce nom sont compris tous ceux qui portent couleurs), l’Amour et le page eurent bien-tost fait amitié ensemble. Son nouveau camarade le mena voir le superbe festin qu’on avoit appresté pour la dame, et l’un et l’autre eurent dequoy faire bonne chere des superfluitez qui s’y trouverent. Cupidon commença à trouver du goust aux bisques et aux faisants, qui le firent ressouvenir du nectar et de l’ambroisie. Et ce qu’il