Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/196

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Vollichon ne faisoit que commencer la declamation contre les mœurs incorrigibles de la jeunesse, quand sa femme luy dit en l’interrompant : Helas ! Mouton (c’estoit le nom de cajollerie qu’elle donnoit à son mary, qui, de son costé, l’appeloit Moutonne), il n’est que trop vray que le monde est bien perverty ; quand nous estions filles, il nous falloit vivre avec tant de retenuë, que la plus hardie n’auroit pas osé lever les yeux sur un garçon ; nous observions tout ce qui estoit dans nostre Civilité puerile, et, par modestie, nous n’aurions pas dit un petit mot à table ; il falloit mettre une main dans sa serviette, et se lever avant le dessert. Si quelqu’une de nous eust mangé des asperges ou des artichaux, on l’auroit monstrée au doigt ; mais les filles d’aujourd’huy sont presque aussi effrontées que des pages de cour. Voilà ce que c’est que de leur donner trop de liberté. Tant que j’ay tenu Javotte auprès de moy à ourler du linge et à faire de la tapisserie, ç’a esté une pauvre innocente qui ne sçavoit pas l’eau troubler. Dans ce peu de temps qu’elle a hanté chez mademoiselle Angelique, où il ne va que des gens poudrez et à grands canons, toute sa bonne éducation a esté gastée ; je me répens bien de luy avoir ainsi laissé la bride sur le cou.

Laurence, qui estoit invitée à la ceremonie, et qui,


Martin, dont on avoit fait une prison pour les filles débauchées. C’est là qu’elles attendoient qu’on les fît comparoître, dans une salle du grand Châtelet, devant le lieutenant général de police, qui les jugeoit. C’est le premier vendredi de chaque mois que se tenoient ces audiences. — La tour Saint-Martin existe encore en partie au coin de la rue du Vertbois ; la fontaine Saint-Martin, établie en 1712, y est adossée. V., pour cette prison, Journal de Barbier, t. 3, p. 109, 110, 116.