Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/257

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Perse, au lieu de dire le doge et le sophy. Une autre fois, ayant découvert un clocher en approchant de Charenton, il demanda ce que c’estoit ; on luy répondit que c’estoit la maison des Carmes deschaussez. Ha ! vrayement (dit-il, trompé sur ce que nous appellons ceux de la Religion des Charentonniers), je ne croyois pas qu’il y eust des Carmes deschaussez huguenots. Le nombre de ses apophtegmes seroit grand si on les vouloit recueillir, et pourroit servir de supplément au livre du sieur Gaulard92, qui avoit à peu près un mesme genie. Cependant, avec ces ridicules qualitez de corps et d’esprit, la fortune s’advisa d’aller choisir ce magot pour le faire paroistre sur un grand theatre, de la mesme maniere que les charlatans y eslevent des singes et des guenons pour faire rire le peuple.

Il y avoit une charge de prevost vacante depuis longtemps en une justice des plus considerables de la ville. D’abord plusieurs personnes d’esprit et de sçavoir se presenterent pour en traiter ; mais il s’y trouva tant d’obstacles de la part d’un nombre infiny de creanciers, que les honnestes gens, qui estoient incapables de faire les intrigues necessaires pour acheter les suffrages de tant de personnes, s’en rebuterent. On y mit cependant un commissionnaire, à qui on fit le procès pour diverses voleries, et la haine qu’on eut pour luy, et la necessité de le chasser, en faciliterent l’entrée à Belastre (car c’est ainsi que se nommoit nostre futur ridicule magis-


92. Le livre de ce prototype des Jocrisses, imprimé d’ordinaire à la suite des Bigarrures et touches du seigneur des Accords, a pour titre : les Contes facétieux du sieur Gaulard, gentilhomme de la Franche-Comté bourguignotte.