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Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/258

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trat). Voicy comme il parvint à cette dignité, qui auroit esté un lieu d’honneur pour un autre, mais qui en fut un de deshonneur pour luy.

Un de ses freres avoit espousé en secondes nopces la fille du premier lit de la seconde femme du deffunt prevost, possesseur de la charge dont il s’agit. Cette veufve étoit une femme vieille, laide, gueuse, méchante, harpie, intrigueuse93, médisante, fourbe, menteuse, banqueroutiere, et qui avoit toutes ces mauvaises qualitez en un souverain degré. Son mary ne s’estoit pas contenté de se faire separer de corps et de biens d’avec cette peste ; il n’avoit peû estre à couvert de sa malice qu’en la faisant enfermer dans un des cachots de la conciergerie, où elle demeura tant qu’il vescut. Apres sa mort, elle se mit en teste de disposer de cette charge, sous pretexte de sa qualité de veuve, quoy qu’elle n’y eust aucun interest, parce que le nombre de ses creanciers et de son mary absorboit trois fois la valeur de sa succession. Mais par de feintes promesses, elle engagea dans son party une bourgeoise dont la creance estoit fort considérable, luy faisant entendre qu’elles partageroient ensemble les revenus de l’office, qu’elle luy fit paroistre bien plus grands qu’ils n’estoient en effet. Cette femme donna dans le paneau, et comme le chien d’Esope, qui prit l’ombre pour le corps, s’obligea avec elle de payer tous les creanciers.



93. Ce mot, employé par Saint-Évremond, dans sa satire du Cercle, ne se trouve ni dans le dictionnaire de Nicot (1606), ni dans le Richelet de 1680 ; mais la première édition de l’Académie le donne, en faisant remarquer qu’intrigueuse est plus employé qu’intrigueur. Intrigant ne parut qu’après 1694.