Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/296

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moins (répondit Charroselles) que ne font les advocats, parce qu’on ne les void jamais avoir de procès en leur nom, de mesme que les medecins ne prennent jamais de leurs drogues. J’ay ouy dire encore ce matin à un de mes amis qu’il n’avoit jamais eu qu’un procès, qu’il avoit gagné, avec dépens et amende, mais qu’il s’est trouvé à la fin que s’il eust abandonné dès le commencement la debte pour laquelle il plaidoit, il auroit gagné beaucoup davantage. Mais comment cela se peut-il faire (lui dit Collantine) ? Voicy comment il me la conté (reprit Charroselles) : Il luy estoit deub cent pistolles par un mauvais payeur, proprietaire d’une maison qui valloit bien environ quatre mil francs. Il a mis son obligation entre les mains d’un procureur, qui, ayant un antagoniste aussi affamé que luy, a si bien contesté sur l’obligation et sur les procedures du décret qu’on a fait en suite de cette maison, qu’il a obtenu jusqu’à sept arrests contre la partie, tous avec amende et dépens. Or, par l’événement, les dépens ayans esté taxez à 2500 livres, et la maison adjugée à 2000 livres seulement au beau-frere de son procureur, il luy a cousté de son argent 500 livres, outre la perte de sa debte. Mais il m’a juré que son plus grand regret estoit à l’argent qu’il luy avoit fallu tirer pour payer toutes les amandes à quoy sa partie avoit esté condamnée, faute de quoy on ne luy vouloit pas délivrer ses arrests.

On avoit raison (repartit Collantine), car ne sçait-on pas bien que c’est celuy qui gagne sa cause qui doit avancer l’amande de douze livres ? Mais on luy en donne, s’il veut, aussi-tost le remboursement sur sa partie. Et que sert le remboursement (adjousta Charroselles) si le debiteur est insolvable, comme le sont tous