Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/297

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les chicaneurs ? Ne vaudroit-il pas bien mieux que Monsieur le receveur perdit la somme, qui luy est un pur gain, que de la faire tomber, par l’evenement, sur le dos de celuy qui avoit bon droit, et qui est chastié de la faute d’autruy ?

La mesme personne m’a fait encore une grande plainte sur la declaration de ces dépens, qui luy tenoit fort au cœur, et l’a traduite assez plaisamment en ridicule. Il m’a fait voir que pour un mesme acte il y avoit cinq ou six articles separez, par exemple pour le conseil, pour le memoire, pour l’assignation, pour la coppie, pour la presentation, pour la journée, pour le parisis, pour le quart en sus, etc.110, et il m’a dit en suite qu’il s’imaginoit estre à la comedie italienne, et voir Scaramouche hostelier compter à son hoste pour le chapon, pour celuy qui l’a lardé, pour celuy qui l’a châtré, pour le bois, pour le feu, pour la broche, etc. Vrayment (dit alors Collantine), il faut bien le faire ainsi, puisque c’est un ancien usage ; j’avouë bien que c’est là où messieurs les procureurs trouvent mieux leur compte, car pour faire cette taxe on compte les articles, et tel de ces articles qui n’est que de dix deniers couste quelquefois huit sous à taxer, comme en frais extraordinaires de criées ; sans compter les roles de la declaration, qui par ce moyen s’amplifient merveilleusement. Aussi disent-ils que c’est la piece la


110. Cette curieuse énumération de frais rappelle celle que fait Molière dans les Fourberies de Scapin (acte 2, scène 8). Comme cette pièce est de 1671, il se pourroit que le passage que j’indique ne fût encore qu’une réminiscence, étendue, du reste, et complétée, du Roman bourgeois.