Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/33

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tresse la tasse à la main en une queste, contre tous les galans.

Certainement la questeuse estoit belle, et si elle eust esté née hors la bourgeoisie, je veux dire si elle eust esté élevée parmi le beau monde, elle pouvoit donner beaucoup d’amour à un honneste homme. N’attendez pas pourtant que je vous la décrive icy, comme on a coustume de faire en ces occasions ; car, quand je vous aurois dit qu’elle estoit de la riche taille, qu’elle avoit les yeux bleus et bien fendus, les cheveux blonds et bien frisez, et plusieurs autres particularitez de sa personne, vous ne la reconnoistriez pas pour cela, et ce ne seroit pas à dire qu’elle fût entierement belle ; car elle pourroit avoir des taches de rousseurs, ou des marques de petite vérole. Témoin plusieurs héros et héroïnes, qui sont beaux et blancs en papier et sous le masque de roman, qui sont bien laids et bien basanez en chair et en os et à découvert. J’aurois bien plutost fait de vous la faire peindre au devant du livre, si le libraire en vouloit faire la dépense. Cela seroit bien aussi nécessaire que tant de figures, tant de combats, de temples et de navires, qui ne servent de rien qu’à faire acheter plus cher les livres4. Ce n’est pas que je veuille blasmer les images, car on diroit que je voudrois reprendre les plus beaux endroits de nos ouvrages modernes.



4. Cela est un trait contre La Serre, qui avoit la manie des illustrations pour ses livres : « Il tenoit pour maxime, dit Tallemant (édit. in-8., t. 5, p. 24), qu’il ne falloit qu’un beau titre et une belle taille douce ; aussi madame Margonne l’appeloit-elle le tailleur des muses, parcequ’il les habilloit assez bien. »