Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/32

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un peu gras, pour avoir le langage plus mignard. Il vouloit qu’on jugeast de l’excellence de son sermon par les chaises, qui y estoient louées deux sous marqués. Aussi avoit-il fait tout son possible pour mandier des auditeurs, et particulièrement des gens à carosse. Il avoit envoyé chez tous ses amis les prier d’y assister, ayant fait pour cela des billets semblables à ceux d’un enterrement, hormis qu’ils n’estoient pas imprimez.

Une belle fille qui devoit y quêter ce jour-là3 y avoit encore attiré force monde, et tous les polis qui vouloient avoir quelque part en ses bonnes grâces y estoient accourus exprès pour luy donner quelque grosse pièce dans sa tasse : car c’estoit une pierre de touche pour connoistre la beauté d’une fille ou l’amour d’un homme que cette queste. Celuy qui donnoit la plus grosse pièce estoit estimé le plus amoureux, et la demoiselle qui avoit fait la plus grosse somme estoit estimée la plus belle. De sorte que, comme autrefois, pour soutenir la beauté d’une maîtresse, la preuve cavallière estoit de se présenter la lance à la main en un tournoy contre tous venans, de même la preuve bourgeoise estoit en ces derniers temps de faire presenter sa maî-


3. La quête aux grands jours, dans une belle église, en brillante toilette, étoit une mode bourgeoise que Furetière ne devoit pas oublier. Il ne fait qu’en indiquer le ridicule, d’autres en ont relevé l’inconvenance ; ainsi le P. Sanlecque, en deux vers célèbres de sa satire contre une mère coquette, etc., et l’auteur anonyme d’une satire contre l’Indécence des questeuses, que nous trouvons dans un petit volume assez rare, Poésies chrestiennes, etc., par le sieur D… Paris, 1710, in-8.