Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/340

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de crainte qu’on ne luy en demandast encore une autre, il se leva brusquement, remit à la haste ses papiers dans son sac, et, en disant : Vrayment, je ne gagne pas ici ma vie, il s’en alla sans faire aucun compliment pour dire adieu. Mais cet empressement avec lequel il reserra ces papiers fut cause que deux glisserent le long du sac, sans qu’il s’en aperçeust, dont l’un fut ramassé par Charroselles, et l’autre par Collantine. Celle-cy ouvrit vistement le sien, et trouva que c’étoit un escriteau en grand volume, et en gros caractere, comme ceux qu’on achete à S. Innocent pour les maisons à loüer, où il y avoit écrit :

CEANS ON VEND DE LA GLOIRE À JUSTE PRIX, ET SI
ON EN VA PORTER EN VILLE.

La nouveauté de cet escriteau les surprit tous, car on n’en avoit point encore veu de tels affichez dans Paris, quand Belastre leur dit, prenant la parole : J’en ay esté surpris le premier, en ayant trouvé une assez grosse liasse lorsque j’ay fait cet inventaire. Ce qui m’a donné sujet d’interroger là dessus Georges Soulas, pour sçavoir ce que le deffunt en vouloit faire. Il m’a répondu que ce pauvre homme, pressé de la necessite, et ne trouvant plus si bon débit de sa marchandise, pretendoit mettre cet escriteau à sa porte, et qu’il ne doutoit point qu’il n’y eust beaucoup d’autres autheurs qui, à son imitation, ouvriroient des boutiques de gloire. Je crois (dit Collantine) qu’elles viendroient aussi-tost à la mode que celles des limonadiers125, qui sont


125. L’établissement de la communauté des limonadiers date de 1676, époque ou on leur permit de vendre du café. L’ouverture des premières boutiques de limonades remonte à plu-