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LIVRE II. LA FAMILLE.

coupable ne peut plus approcher de son propre foyer ; son dieu le repousse. Pour quiconque a versé le sang, il n’y a plus de sacrifice permis, plus de libation, plus de prière, plus de repas sacré. Le dieu est si sévère qu’il n’admet aucune excuse ; il ne distingue pas entre un meurtre involontaire et un crime prémédité. La main tachée de sang ne peut plus toucher les objets sacrés[1]. Pour que l’homme puisse reprendre son culte et rentrer en possession de son dieu, il faut au moins qu’il se purifie par une cérémonie expiatoire[2]. Cette religion connaît la miséricorde ; elle a des rites pour effacer les souillures de l’âme ; si étroite et si grossière qu’elle soit, elle sait consoler l’homme de ses fautes mêmes.

Si elle ignore absolument les devoirs de charité, du moins elle trace à l’homme avec une admirable netteté ses devoirs de famille. Elle rend le mariage obligatoire ; le célibat est un crime aux yeux d’une religion qui fait de la continuité de la famille le premier et le plus saint des devoirs. Mais l’union qu’elle prescrit ne peut s’accomplir qu’en présence des divinités domestiques ; c’est l’union religieuse, sacrée, indissoluble de l’époux et de l’épouse. Que l’homme ne se croie pas permis de laisser de côté les rites et de faire du mariage un simple contrat consensuel, comme il l’a été à la fin de la société grecque et romaine. Cette antique religion le lui défend, et s’il ose le faire, elle l’en punit. Car le fils qui vient à naître d’une telle union, est considéré comme un bâtard, νόθος, spurius, c’est-à-dire comme un être qui n’a pas

  1. Hérodote, I, 35. Virgile, Én., II, 719. Plutarque, Thésée, 12.
  2. Apoll. de Rhodes, IV, 704-707. Eschyle, Choeph., 96. Pollux, VIII, 104.