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LIVRE III. LA CITÉ.

Énée est le chef du culte, l’homme sacré, le divin fondateur, dont la mission est de sauver les Pénates de la cité,

Sum pius Æneas raptos qui ex hoste Penates
Classe veho mecum.

Sa qualité dominante doit être la piété, et l’épithète que le poëte lui applique le plus souvent est aussi celle qui lui convient le mieux. Sa vertu doit être une froide et haute impersonnalité, qui fasse de lui, non un homme, mais un instrument des dieux. Pourquoi chercher en lui des passions ? il n’a pas le droit d’en avoir, ou il doit les refouler au fond de son cœur,

Multa gemens multoque animum labefactus aurore,
Jussa tamen Divum insequitur.

Déjà dans Homère Énée était un personnage sacré, un grand-prêtre, que le peuple « vénérait à l’égal d’un dieu, » et que Jupiter préférait à Hector. Dans Virgile il est le gardien et le sauveur des dieux troyens. Pendant la nuit qui a consommé la ruine de la ville, Hector lui est apparu en songe. « Troie, lui a-t-il dit, te confie ses dieux ; cherche-leur une nouvelle ville. » Et en même temps il lui a remis les choses saintes, les statuettes protectrices et le feu du foyer qui ne doit pas s’éteindre. Ce songe n’est pas un ornement placé là par la fantaisie du poëte. Il est au contraire le fondement sur lequel repose le poëme tout entier ; car c’est par lui qu’Énée est devenu le dépositaire des dieux de la cité et que sa mission sainte lui a été révélée.

La ville de Troie a péri, mais non pas la cité troyenne ; grâce à Énée, le foyer n’est pas éteint, et les dieux ont encore un culte. La cité et les dieux fuient avec Énée ;