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LIVRE III. LA CITÉ.

plus sûr de la vaincre que de détruire son foyer. Nous voyons là les croyances des anciens ; le foyer public était le sanctuaire de la cité ; c’était ce qui l’avait fait naître et ce qui la conservait.

De même que le culte du foyer domestique était secret et que la famille seule avait droit d’y prendre part, de même le culte du foyer public était caché aux étrangers. Nul, s’il n’était citoyen, ne pouvait assister au sacrifice. Le seul regard de l’étranger souillait l’acte religieux[1].

Chaque cité avait des dieux qui n’appartenaient qu’à elle. Ces dieux étaient ordinairement de même nature que ceux de la religion primitive des familles. On les appelait Lares, Pénates, Génies, Démons, Héros[2] ; sous tous ces noms, c’étaient des âmes humaines divinisées par la mort. Car nous avons vu que, dans la race indo-européenne, l’homme avait eu d’abord le culte de la force invisible et immortelle qu’il sentait en lui. Ces Génies ou ces Héros étaient la plupart du temps les ancêtres du peuple[3]. Les corps étaient enterrés soit dans la ville même, soit sur son territoire, et comme, d’après les croyances que nous avons montrées plus haut, l’âme ne quittait pas le corps, il en résultait que ces morts divins étaient attachés au sol où leurs ossements étaient enterrés. Du fond de leurs tombeaux ils veillaient sur la cité ; ils protégeaient le pays, et ils en étaient en quelque sorte les chefs et les maîtres. Cette expression de chefs du pays appliquée aux morts, se trouve dans un oracle adressé par la Pythie à Solon : « Honore d’un culte les chefs du pays, les morts qui habitent sous terre[4]. » Ces

  1. Virgile, III, 408. Pausanias, V, 15. Appien, G. civ., I, 54.
  2. Ovide, Fast., II, 616.
  3. Plutarque, Aristide, 11.
  4. Plutarq., Solon, 9.