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CH. XVII. LES ANCIENS IGNORAIENT LA LIBERTÉ.

durent se montrer en public avec un visage gai. La mère qui savait que son fils avait échappé au désastre et qu’elle allait le revoir, montrait de l’affliction et pleurait. Celle qui savait qu’elle ne reverrait plus son fils, témoignait de la joie et parcourait les temples en remerciant les dieux. Quelle était donc la puissance de l’État, qui ordonnait le renversement des sentiments naturels et qui était obéi !

L’État pouvait prescrire, à Athènes le travail, à Sparte l’oisiveté. Il exerçait sa tyrannie jusque dans les plus petites choses. À Locres, la loi défendait aux hommes de boire du vin pur ; à Rome, à Milet, à Marseille, elle le défendait aux femmes[1]. Il était ordinaire que le costume fût fixé invariablement par les lois de chaque cité. À Rhodes, la loi défendait de se raser la barbe ; à Byzance, elle punissait d’une amende celui qui possédait chez soi un rasoir[2].

L’État n’admettait pas qu’un homme fût indifférent à ses intérêts ; le philosophe, l’homme d’étude n’avait pas le droit de vivre à part. C’était une obligation qu’il votât dans l’assemblée et qu’il fût magistrat à son tour. Dans un temps où les discordes étaient fréquentes, la loi athénienne ne permettait pas au citoyen de rester neutre ; il devait combattre avec l’un ou avec l’autre parti ; contre celui qui voulait demeurer à l’écart des factions et se montrer calme, la loi prononçait la peine de l’exil avec confiscation des biens.

L’homme n’avait pas la liberté de voyager ; s’il voulait sortir des limites de son étroite patrie, il lui fallait une autorisation des magistrats. La loi de Sparte réglait

  1. Athénée, X, 33. Élien, H. V., II, 37.
  2. Athénée, XIII. Plutarque, Cléomène, 9.