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Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/37

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CH. III. LE FEU SACRÉ.

de boire, on répandait la libation de vin. C’était la part du dieu. Nul ne doutait qu’il ne fût présent, qu’il ne mangeât et ne bût ; et, de fait, ne voyait-on pas la flamme grandir comme si elle se fût nourrie des mets offerts ? Ainsi le repas était partagé entre l’homme et le dieu ; c’était une cérémonie sainte, par laquelle ils entraient en communion ensemble[1]. Vieilles croyances, qui à la longue disparurent des esprits, mais qui laissèrent longtemps après elles des usages, des rites, des formes de langage, dont l’incrédule même ne pouvait pas s’affranchir. Horace, Ovide, Pétrone soupaient encore devant leur foyer et faisaient la libation et la prière[2].

Ce culte du feu sacré n’appartenait pas exclusivement aux populations de la Grèce et de l’Italie. On le retrouve en Orient. Les lois de Manou, dans la rédaction qui nous en est parvenue, nous montrent la religion de Brahma complétement établie et penchant même vers son déclin ; mais elles ont gardé des vestiges et des restes d’une religion plus ancienne, celle du foyer, que le culte de Brahma avait reléguée au second rang, mais n’avait pas pu détruire. Le brahmane a son foyer qu’il doit entretenir jour et nuit ; chaque matin et chaque soir il lui donne pour aliment le bois ; mais, comme chez les Grecs, ce ne peut être que le bois de certains arbres indiqués par la religion. Comme les Grecs et les Italiens lui offrent le vin, le Hindou lui verse la liqueur fermentée qu’il appelle soma. Le repas est aussi un acte religieux, et les rites en sont décrits scrupuleusement dans les lois de Manou. On adresse des prières au foyer, comme en Grèce ; on lui offre les prémices du repas, le riz, le

  1. Plutarq., Quest. rom., 64 ; Comm. sur Hésiode, 44. Hymnes homér., 29.
  2. Horace, Sat., II, 6, 66. Ovide, Fast., II, 631. Pétrone, 60.