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CH. III. LE FEU SACRÉ.

gnait un autel. Par un procédé assez ordinaire, du nom commun on avait fait un nom propre. Une légende se forma peu à peu. On se figura cette divinité sous les traits d’une femme, parce que le mot qui désignait l’autel était du genre féminin. On alla même jusqu’à représenter cette déesse par des statues. Mais on ne put jamais effacer la trace de la croyance primitive d’après laquelle cette divinité était simplement le feu de l’autel ; et Ovide lui-même était forcé de convenir que Vesta n’était pas autre chose qu’une « flamme vivante[1]. »

Si nous rapprochons ce culte du feu sacré du culte des morts, dont nous parlions tout à l’heure, une relation étroite nous apparaît entre eux.

Remarquons d’abord que ce feu qui était entretenu sur le foyer n’est pas, dans la pensée des hommes, le feu de la nature matérielle. On ne voit pas en lui l’élément purement physique qui échauffe ou qui brûle, qui transforme les corps, fond les métaux et se fait le puissant instrument de l’industrie humaine. Le feu du foyer est d’une tout autre nature. C’est un feu pur, qui ne peut être produit qu’à l’aide de certains rites et n’est entretenu qu’avec certaines espèces de bois. C’est un feu chaste ; l’union des sexes doit être écartée loin de sa présence[2]. On ne lui demande pas seulement la richesse et la santé ; on le prie aussi pour en obtenir la pureté du cœur, la tempérance, la sagesse. « Rends-nous riches et florissants, dit un hymne orphique ; rends-nous aussi sages et chastes. » Le feu du foyer est donc une sorte d’être moral. Il est vrai qu’il brille, qu’il réchauffe, qu’il cuit l’aliment sacré ; mais en même temps

  1. Ovide, Fast., VI, 291.
  2. Hésiode, Opera, 731. Plutarq., Comm. sur Hés., fragm. 43, édit. Didot.