Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/109

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elle, qu’il peut avant de mourir lui désigner un tuteur et même lui choisir un second mari[1].

Pour marquer la puissance du mari sur la femme, les Romains avaient une très ancienne expression que leurs jurisconsultes ont conservée ; c’est le mot manus. Il n’est pas aisé d’en découvrir le sens primitif. Les commentateurs en font l’expression de la force matérielle, comme si la femme était placée sous la main brutale du mari. Il y a grande apparence qu’ils se trompent. La puissance du mari sur la femme ne résultait nullement de la force plus grande du premier. Elle dérivait, comme tout le droit privé, des croyances religieuses qui plaçaient l’homme au-dessus de la femme. Ce qui le prouve, c’est que la femme qui n’avait pas été mariée suivant les rites sacrés, et qui par conséquent n’avait pas été associée au culte, n’était pas soumise à la puissance maritale[2]. C’était le mariage qui faisait la subordination et en même temps la dignité de la femme. Tant il est vrai que ce n’est pas le droit du plus fort qui a constitué la famille.

Passons à l’enfant. Ici la nature parle d’elle-même assez haut ; elle veut que l’enfant ait un protecteur, un guide, un maître. La religion est d’accord avec la nature ; elle dit que le père sera le chef du culte et que le fils devra seulement l’aider dans ses fonctions saintes. Mais la nature n’exige cette subordination que pendant un certain nombre d’années ; la religion exige davantage. La nature fait au fils une majorité : la religion ne lui en accorde pas. D’après les antiques principes, le foyer est indivisible et la propriété l’est comme lui ; les frères ne se séparent

  1. Démosthène, in Aphobum ; pro Phormione.
  2. Cicéron, Topic., 14. Tacite, Ann., 16. Aulu-Gelle, XVIII, 6. On verra plus loin qu’à une certaine époque et pour des raisons que nous aurons à dire, on a imaginé des modes nouveaux de mariage et qu’on leur a fait produire les mêmes effets juridiques que produisait le mariage sacré.