Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/132

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la cité a établi entre elles une union fictive et une sorte de parenté religieuse.

Mais une première objection se présente. Si la gens n’est qu’une association factice, comment expliquer que ses membres aient un droit à hériter les uns des autres ? Pourquoi le gentilis est-il préféré au cognat ? Nous avons vu plus haut les règles de l’hérédité, et nous avons dit quelle relation étroite et nécessaire la religion avait établie entre le droit d’hériter et la parenté masculine. Peut-on supposer que la loi ancienne se fût écartée de ce principe au point d’accorder la succession aux gentiles, si ceux-ci avaient été les uns pour les autres des étrangers ?

Le caractère le plus saillant et le mieux constaté de la gens, c’est qu’elle a en elle-même un culte, comme la famille a le sien. Or, si l’on cherche quel est le dieu que chacune adore, on remarque que c’est presque toujours un ancêtre divinisé, et que l’autel où elle porte le sacrifice est un tombeau. À Athènes, les Eumolpides vénèrent Eumolpos, auteur de leur race ; les Phytalides adorent le héros Phytalos, les Butades Butès, les Busélides Busélos, les Lakiades Lakios, les Amynandrides Cérops[1]. À Rome, les Claudius descendent d’un Clausus ; les Cæcilius honorent comme chef de leur race le héros Cæculus, les Calpurnius un Calpus, les Julius un Julus, les Clœlius un Clœlus[2].

Il est vrai qu’il nous est bien permis de croire que beaucoup de ces généalogies ont été imaginées après coup ; mais il faut bien avouer que cette supercherie n’aurait pas eu de motif, si ce n’avait été un usage constant chez les véritables gentes de reconnaître un ancêtre commun et de lui rendre un culte. Le mensonge cherche toujours à imiter la vérité.

D’ailleurs la supercherie n’était pas aussi aisée à

  1. Démosthènes, in Macart., 79. Pausanias, I, 37. Inscription des Amynandrides, citée par Ross, p. 24.
  2. Festus, Vis Cæculus, Calpurnii, Clœlia.