Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/152

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vit aussi dans chaque partie de la création, dans le sol, dans l’arbre, dans le nuage, dans l’eau du fleuve, dans le soleil, autant de personnes semblables à la sienne ; il leur attribua la pensée, la volonté, le choix des actes ; comme il les sentait puissants et qu’il subissait leur empire, il avoua sa dépendance ; il les pria et les adora ; il en fit des dieux.

Ainsi, dans cette race, l’idée religieuse se présenta sous deux formes très-différentes. D’une part, l’homme attacha l’attribut divin au principe invisible, à l’intelligence, à ce qu’il entrevoyait de l’âme, à ce qu’il sentait de sacré en lui. D’autre part il appliqua son idée du divin aux objets extérieurs qu’il contemplait, qu’il aimait ou redoutait, aux agents physiques qui étaient les maîtres de son bonheur et de sa vie.

Ces deux ordres de croyances donnèrent lieu à deux religions que l’on voit durer aussi longtemps que les sociétés grecque et romaine. Elles ne se firent pas la guerre ; elles vécurent même en assez bonne intelligence et se partagèrent l’empire sur l’homme ; mais elles ne se confondirent jamais. Elles eurent toujours des dogmes tout à fait distincts, souvent contradictoires, des cérémonies et des pratiques absolument différentes. Le culte des dieux de l’Olympe et celui des héros et des mânes n’eurent jamais entre eux rien de commun. De ces deux religions, laquelle fut la première en date, on ne saurait le dire ; ce qui est certain, c’est que l’une, celle des morts, ayant été fixée à une époque très-lointaine, resta toujours immuable dans ses pratiques, pendant que ses dogmes s’effaçaient peu à peu ; l’autre, celle de la nature physique, fut plus progressive et se développa librement à travers les âges, modifiant peu à peu ses légendes et ses doctrines, et augmentant sans cesse son autorité sur l’homme.