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emplacement qu’ils appelaient pura et qui était destiné à l’immolation de la victime et à la cuisson de sa chair[1]. Le tombeau romain avait de même sa culina, espèce de cuisine d’un genre particulier et uniquement à l’usage du mort[2]. Plutarque raconte qu’après la bataille de Platée les guerriers morts ayant été enterrés sur le lieu du combat, les Platéens s’étaient engagés à leur offrir chaque année le repas funèbre. En conséquence, au jour anniversaire, ils se rendaient en grande procession, conduits par leurs premiers magistrats, vers le tertre sous lequel reposaient les morts. Ils leur offraient du lait, du vin, de l’huile, des parfums, et ils immolaient une victime. Quand les aliments avaient été placés sur le tombeau, les Platéens prononçaient une formule par laquelle ils appelaient les morts à venir prendre ce repas. Cette cérémonie s’accomplissait encore au temps de Plutarque, qui put en voir le six centième anniversaire[3]. Un peu plus tard, Lucien, en se moquant de ces opinions et de ces usages, faisait voir combien ils étaient fortement enracinés chez le vulgaire. « Les morts, dit-il, se nourrissent des mets que nous plaçons sur leur tombeau et boivent le vin que nous y versons ; en sorte qu’un mort à qui l’on n’offre rien, est condamné à une faim perpétuelle[4]. »

Voilà des croyances bien vieilles et qui nous paraissent bien fausses et ridicules. Elles ont pourtant exercé l’empire sur l’homme pendant un grand nombre de générations. Elles ont gouverné les âmes ; nous verrons même bientôt qu’elles ont régi les sociétés, et que la plupart des institutions domestiques et sociales des anciens sont venues de cette source.

  1. Euripide, Électre, 513.
  2. Festus, v. Culina.
  3. Plutarque, Aristide, 21.
  4. Lucien, De luctu.