Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la religion et à l’État en même temps, et que l’État eût sévèrement punie. Socrate fut mis à mort pour ce crime. La liberté de penser à l’égard de la religion de la cité était absolument inconnue chez les anciens. Il fallait se conformer à toutes les règles du culte, figurer dans toutes les processions, prendre part aux repas sacrés. La législation athénienne prononçait une peine contre ceux qui s’abstenaient de célébrer religieusement une fête nationale[1].

Les anciens ne connaissaient donc ni la liberté de la vie privée, ni la liberté d’éducation, ni la liberté religieuse. La personne humaine comptait pour bien peu de chose vis-à-vis de cette autorité sainte et presque divine qu’on appelait la patrie ou l’État. L’État n’avait pas seulement, comme dans nos sociétés modernes, un droit de justice à l’égard des citoyens. Il pouvait frapper sans qu’on fût coupable et par cela seul que son intérêt était en jeu. Aristide assurément n’avait commis aucun crime et n’en était même pas soupçonné ; mais la cité avait le droit de le chasser de son territoire par ce seul motif qu’Aristide avait acquis par ses vertus trop d’influence et qu’il pouvait devenir dangereux, s’il le voulait. On appelait cela l’ostracisme ; cette institution n’était pas particulière à Athènes ; on la trouve à Argos, à Mégare, à Syracuse et nous pouvons croire qu’elle existait dans toutes les cités grecques[2]. Or l’ostracisme n’était pas un châtiment ; c’était une précaution que la cité prenait contre un citoyen qu’elle soupçonnait de pouvoir la gêner un jour. À Athènes on pouvait mettre un homme en accusation et le condamner pour incivisme, c’est-à-dire pour défaut d’affection envers l’État. La vie de l’homme n’était garantie par rien dès qu’il s’agissait de l’intérêt de la cité. Rome fit une loi par laquelle il était permis de tuer tout

  1. Pollux, VIII, 46. Ulpien, schol. in Démosth., in Midiam.
  2. Aristote, Pol., VIII, 2, 5. Scholiaste d’Aristophane, Cheval., 851.