Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont il ne peut sortir, il est sous la main d’un eupatride qui a en lui le même caractère et la même autorité que le patron romain.

On peut bien présumer que de bonne heure il y eut de la haine entre le patron et le client. On se figure sans peine ce qu’était l’existence dans cette famille ou l’un avait tout pouvoir et l’autre n’avait aucun droit, où l’obéissance sans réserve et sans espoir était tout à côté de l’omnipotence sans frein, où le meilleur maître avait ses emportements et ses caprices, où le serviteur le plus résigné avait ses rancunes, ses gémissements et ses colères. Ulysse est un bon maître : voyez quelle affection paternelle il porte à Eumée et à Philætios. Mais il fait mettre à mort un serviteur qui l’a insulté sans le reconnaître, et des servantes qui sont tombées dans le mal auquel son absence même les a exposées. De la mort des prétendants il est responsable vis-à-vis de la cité ; mais de la mort des serviteurs personne ne lui demande compte.

Dans l’état d’isolement où la famille avait longtemps vécu, la clientèle avait pu se former et se maintenir. La religion domestique était alors toute-puissante sur l’âme. L’homme qui en était le prêtre par droit héréditaire, apparaissait aux classes inférieures comme un être sacré. Plus qu’un homme, il était l’intermédiaire entre les hommes et Dieu. De sa bouche sortait la prière puissante, la formule irrésistible qui attirait la faveur ou la colère de la divinité. Devant une telle force il fallait s’incliner ; l’obéissance était commandée par la foi et la religion. D’ailleurs comment le client aurait-il eu la tentation de s’affranchir ? Il ne voyait pas d’autre horizon que cette famille à laquelle tout l’attachait. En elle seule il trouvait une vie calme, une subsistance assurée ; en elle seule, s’il avait un maître, il avait aussi un protecteur ; en elle seule enfin il trouvait un autel dont il pût approcher, et des dieux qu’il lui fût per-