Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/362

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que le plébéien prenait ses sûretés contre la servitude ; par une sorte de contrat fiduciaire, il stipulait qu’il garderait son rang d’homme libre jusqu’au jour de l’échéance, et que ce jour-là il reprendrait pleine possession de lui-même en remboursant la dette. Mais ce jour venu, si la dette n’était pas éteinte, le plébéien perdait le bénéfice de son contrat. Il tombait à la discrétion du créancier qui l’emmenait dans sa maison et en faisait son client et son serviteur. En tout cela le patricien ne croyait pas faire acte d’inhumanité ; l’idéal de la société étant à ses yeux le régime de la gens, il ne voyait rien de plus légitime et de plus beau que d’y ramener les hommes par quelque moyen que ce fût. Si son plan avait réussi, la plèbe eût en peu de temps disparu, et la cité romaine n’eût été que l’association des gentes patriciennes se partageant la foule des clients.

Mais cette clientèle était une chaîne dont le plébéien avait horreur. Il se débattait contre le patricien qui, armé de sa créance, voulait l’y faire tomber. La clientèle était pour lui l’équivalent de l’esclavage ; la maison du patricien était à ses yeux une prison (ergastulum). Maintes fois le plébéien, saisi par la main patricienne, implora l’appui de ses semblables et ameuta la plèbe, s’écriant qu’il était homme libre et montrant en témoignage les blessures qu’il avait reçues dans les combats pour la défense de Rome. Le calcul des patriciens ne servit qu’à irriter la plèbe. Elle vit le danger ; elle aspira de toute son énergie à sortir de cet état précaire où la chute du gouvernement royal l’avait placée. Elle voulut avoir des lois et des droits.

Mais il ne paraît pas que ces hommes aient d’abord souhaité d’entrer en partage des lois et des droits des patriciens. Peut-être croyaient-ils, comme les patriciens eux-mêmes, qu’il ne pouvait y avoir rien de commun entre les deux ordres. Nul ne songeait à l’égalité civile et politique. Que la plèbe pût s’élever au