Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/441

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Même les divinités de la nature, qu’on avait associées aux foyers, changèrent de caractère. Après avoir commencé par être des divinités domestiques, après être devenues des divinités de cité, elles se transformèrent encore. Les hommes finirent par s’apercevoir que les êtres différents qu’ils appelaient du nom de Jupiter, pouvaient bien n’être qu’un seul et même être ; et ainsi des autres dieux. L’esprit fut embarrassé de la multitude des divinités, et il sentit le besoin d’en réduire le nombre. On comprit que les dieux n’appartenaient plus chacun à une famille ou à une ville, mais qu’ils appartenaient tous au genre humain et veillaient sur l’univers. Les poètes allaient de ville en ville et enseignaient aux hommes, au lieu des vieux hymnes de la cité, des chants nouveaux où il n’était parlé ni des dieux Lares ni des divinités poliades, et où se disaient les légendes des grands dieux de la terre et du ciel ; et le peuple grec oubliait ses vieux hymnes domestiques ou nationaux pour cette poésie nouvelle, qui n’était pas fille de la religion, mais de l’art et de l’imagination libre. En même temps, quelques grands sanctuaires, comme ceux de Delphes et de Délos, attiraient les hommes et leur faisaient oublier les cultes locaux. Les Mystères et la doctrine qu’ils contenaient, les habituaient à dédaigner la religion vide et insignifiante de la cité.

Ainsi une révolution intellectuelle s’opéra lentement et obscurément. Les prêtres mêmes ne lui opposaient pas de résistance ; car dès que tes sacrifices continuaient à être accomplis aux jours marqués, il leur semblait que l’ancienne religion était sauve ; les idées pouvaient changer et’ la foi périr, pourvu que les rites ne reçussent aucune atteinte. Il arriva donc que, sans que les pratiques fussent modifiées, les croyances se transformèrent, et que la religion domestique et municipale perdit tout empire sur les âmes.

Puis la philosophie parut, et elle renversa toutes les