Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/472

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

est-à-dire que la loi ne lui reconnaît ni la puissance maritale ni l’autorité paternelle. La propriété n’existe pas pour lui ; il y a même une double impossibilité à ce qu’il soit propriétaire : impossibilité à cause de sa condition personnelle, parce qu’il n’est pas citoyen romain ; impossibilité à cause de la condition de sa terre, parce qu’elle n’est pas terre romaine, et que la loi n’admet le droit de propriété complète que dans les limites de l’ager romanus. Aussi les jurisconsultes enseignent-ils que le sol provincial n’est jamais propriété privée, et que les hommes ne peuvent en avoir que la possession et l’usufruit.[1] Or ce qu’ils disent, au second siècle de notre ère, du sol provincial, avait été également vrai du sol italien avant le jour où l’Italie avait obtenu le droit de cité romaine, comme nous le verrons tout à l’heure.

Il est donc avéré que les peuples, à mesure qu’ils entraient dans l’empire romain, perdaient leur religion municipale, leur gouvernement, leur droit privé. On peut bien croire que Rome adoucissait dans la pratique ce que la sujétion avait de destructif. Aussi voit-on bien que, si la loi romaine ne reconnaissait pas au sujet l’autorité paternelle, encore laissait-on cette autorité subsister dans les mœurs. Si on ne permettait pas à un tel homme de se dire propriétaire du sol, encore lui en laissait-on la possession ; il cultivait sa terre, la vendait, la léguait. On ne disait jamais que cette terre fût sienne, mais on disait qu’elle était comme sienne, pro suo. Elle n’était pas sa propriété, dominium, mais elle était dans ses biens, in bonis.[2] Rome imaginait ainsi au profit du sujet une foule de détours et d’artifices de langage. Assurément le génie romain, si ses traditions municipales l’empêchaient de faire des lois pour

  1. Gaius, II, 7 ; Cicéron, pro Flacco, 32.
  2. Gaius, I, 54 ; II, 5, 6, 7.