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Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/62

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cause la ruine de la religion de cette famille ; les ancêtres privés de l’offrande des gâteaux tombent au séjour des malheureux.[1] »

Les hommes de l’Italie et de la Grèce ont longtemps pensé de même. S’ils ne nous ont pas laissé dans leurs écrits une expression de leurs croyances aussi nette que celle que nous trouvons dans les vieux livres de l’Orient, du moins leurs lois sont encore là pour attester leurs antiques opinions. À Athènes la loi chargeait le premier magistrat de la cité de veiller à ce qu’aucune famille ne vînt à s’éteindre[2]. De même la loi romaine était attentive à ne laisser tomber aucun culte domestique[3]. On lit dans un discours d’un orateur athénien : « Il n’est pas un homme qui, sachant qu’il doit mourir, ait assez peu de souci de soi-même pour vouloir laisser sa famille sans descendants ; car il n’y aurait alors personne pour lui rendre le culte qui est dû aux morts.[4] » Chacun avait donc un intérêt puissant à laisser un fils après soi, convaincu qu’il y allait de son immortalité heureuse. C’était même un devoir envers les ancêtres dont le bonheur ne devait durer qu’autant que durait la famille. Aussi les lois de Manou appellent-elles le fils aîné « celui qui est engendré pour l’accomplissement du devoir. »

Nous touchons ici à l’un des caractères les plus remarquables de la famille antique. La religion qui l’a formée, exige impérieusement qu’elle ne périsse pas. Une famille qui s’éteint, c’est un culte qui meurt. Il faut se représenter ces familles à l’époque où les croyances ne se sont pas encore altérées. Chacune d’elles possède une religion et des dieux, précieux dépôt sur lequel elle doit veiller. Le plus grand malheur que sa piété ait à craindre, est que

  1. Bhagavad-Gita, I, 40.
  2. Isée, VII, 30-32.
  3. Cicéron, De legib., II, 19.
  4. Isée, VII, 30.