Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans ce tableau, la cinquième génération, qui vivait vers l’an 140 avant Jésus-Christ, est représentée par quatre personnages. Étaient-ils tous parents entre eux ? Ils le seraient d’après nos idées modernes ; ils ne l’étaient pas tous dans l’opinion des Romains. Examinons en effet s’ils avaient le même culte domestique, c’est-à-dire s’ils faisaient les offrandes aux mêmes ancêtres. Supposons le troisième Scipio Asiaticus, qui reste seul de sa branche, offrant au jour marqué le repas funèbre ; en remontant de mâle en mâle, il trouve pour troisième ancêtre Publius Scipio. De même Scipion Émilien, faisant son sacrifice, rencontrera dans la série de ses ascendante ce même Publius Scipio. Donc Scipio Asiaticus et Scipion Émilien sont parents entre eux ; chez les Hindous on les appellerait sapindas.

D’autre part Scipion Sérapion a pour quatrième ancêtre L. Cornelius Scipio qui est aussi le quatrième ancêtre de Scipion Émilien. Ils sont donc parents entre eux ; chez les Hindous on les appellerait samanodacas. Dans la langue juridique et religieuse de Rome, ces trois Scipions sont agnats ; les deux premiers le sont entre eux au sixième degré, le troisième l’est avec eux au huitième.

Il n’en est pas de même de Tiberius Gracchus. Cet homme qui, d’après nos coutumes modernes, serait le plus proche parent de Scipion Émilien, n’était pas même son parent au degré le plus éloigné. Peu importe en effet pour Tiberius qu’il soit fils de Cornélie, la fille des Scipions ; ni lui ni Cornélie elle-même n’appartiennent à cette famille par la religion. Il n’a pas d’autres ancêtres que les Sempronius ; c’est à eux qu’il offre le repas funèbre ; en remontant la série de ses ascendants, il ne rencontrera jamais un Scipion. Scipion Émilien et Tiberius Gracchus ne sont donc pas agnats. Le lien du sang ne suffit pas pour établir cette parenté, il faut le lien du culte.