Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre était toujours accompagnée d’un sacrifice aux dieux.[1] Toute mutation de propriété avait besoin d’être autorisée par la religion.

Si l’homme ne pouvait pas ou ne pouvait que difficilement se dessaisir de sa terre, à plus forte raison ne devait-on pas l’en dépouiller malgré lui. L’expropriation pour cause d’utilité publique était inconnue chez les anciens. La confiscation n’était pratiquée que comme conséquence de l’arrêt d’exil[2], c’est-à-dire lorsque l’homme dépouillé de son titre de citoyen ne pouvait plus exercer aucun droit sur le sol de la cité. L’expropriation pour dettes ne se rencontre jamais non plus dans le droit ancien des cités.[3] La loi des Douze Tables ne ménage assurément pas le débiteur ; elle ne permet pourtant pas que sa propriété soit confisquée au profit du créancier. Le corps de l’homme répond de la dette, non sa terre, car la terre est inséparable de la famille. Il est plus facile de mettre l’homme en servitude que de lui enlever son droit de propriété ; le débiteur est mis dans les mains de son créancier ; sa terre le suit en quelque sorte dans son esclavage. Le maître qui use à son profit des forces physiques de l’homme, jouit de même des fruits de la terre ; mais il ne devient pas propriétaire de celle-ci. Tant le droit de propriété est au-dessus de tout et inviolable.[4]

  1. Stobée, 42.
  2. Cette règle disparut dans l’âge démocratique des cités.
  3. Une loi des Eléens défendait de mettre hypothèque sur la terre, Aristote, Polit., VII, 2. L’hypothèque était inconnue dans l’ancien droit de Rome. Ce qu’on dit de l’hypothèque dans le droit athénien s’appuie sur un mot mal compris de Plutarque.
  4. Dans l’article de la loi des Douze Tables qui concerne le débiteur insolvable, nous lisons si volet suo vivito : donc le débiteur devenu presque esclave, conserve encore quelque chose à lui : sa propriété, s’il en a, ne lui est pas enlevée. Les arrangements connus en droit romain sous les noms de mancipation avec fiducie et de pignus étaient, avant l’action Serviernne, des moyens détournés pour assurer au créancier le paiement de la dette ; ils prouvent indirectement que l’expropriation pour dettes n’existait pas. Plus tard, quand on supprima la servitude corporelle, il fallut trouver moyen