Page:Géhin - Gérardmer à travers les âges.djvu/328

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pipes au coin du feu, les femmes s’occupent de travaux de lingerie. Dès que la conversation languit, les grand’mamans racontent les histoires du bon vieux temps.

En voici une que nous avons retenue de l’hiver dernier, un soir que, chassé par le vent et la neige, nous avons demandé quelques heures d’hospitalité à un brave habitant du fond de Retournemer.

« Dans le temps, commença la bonne vieille, au milieu d’un silence religieux, ma grand’mère m’a raconté l’histoire des Joueurs de Boules. Je vais vous la dire.

« C’était à Fachepremont, pays autrefois appelé les Respandises de Vespermoundt. Les femmes aimaient déjà bien de causer, et les hommes étaient de grands joueurs devant l’Eternel ; du moins, c’est grand’mère qui l’affirmait.

« C’était surtout au jeu de boules (jeu de quilles) que se passaient les soirées du dimanche ; parfois – dans la belle saison – elles se prolongeaient fort avant dans la nuit. Il arriva qu’un dimanche de la saint Jean (24 Juin), les joueurs s’étaient attardés plus que de coutume, jouant à la lueur d’un brasier. Un étranger se trouva soudain parmi eux sans qu’ils aient su comment il était venu.

« L’étranger, fort bien vêtu, avait les pieds difformes, et les mains crochues ; ses yeux étaient étranges: parfois, ils jetaient des éclairs comme des charbons enflammés. Un instant, les joueurs regardèrent avec défiance le nouveau venu ; mais comme il prôchait lo putois (parlait le patois) et qu’il proposa une partie, nos Géromhèyes l’acceptèrent comme partenaire.

« La bourse du nouveau joueur était inépuisable ; il perdit, il perdit ; on croit même qu’il lui suffisait de se baisser et de toucher les cailloux pour les changer en pièces d’or. Nos Giromhèyes ne se tenaient pas d’aise ; eux qui n’avaient jamais possédé que deux ou trois écus, en se sentant la poche pleine de louys d’or, se croyaient riches