Aller au contenu

Page:Gérard - Correspondance choisie de Gœthe et Schiller, 1877.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’elle il ne produira que des types généraux ; mais ces types conserveront la possibilités de la vie, et auront avec les objets réels des rapports fondés.

Mais je m’aperçois qu’au lieu d’une lettre, c’est une dissertation que je suis en train d’écrire ; pardonnez-le-moi en pensant au vif intérêt que ce sujet m’a inspiré ; et si vous ne reconnaissez pas votre image dans ce miroir, n’allez pas, pour cela, je vous en supplie, le rejeter loin de vous.

M. de Humboldt voudrait garder quelques jours encore le petit écrit de Moritz[1] ; je l’ai lu moi-même avec un grand intérêt, et je lui dois plus d’un enseignement important. C’est un plaisir véritable de pouvoir se rendre clairement compte d’une manière de procéder tout instinctive, qui pourrait facilement conduire à l’erreur, et de rectifier ses sentiments par des lois. Lorsqu’on poursuit le cours des idées de Morizt, on voit peu à peu une belle ordonnance pénétrer l’anarchie de la langue, et si l’on découvre à cette occasion à la fois l’imperfection et les limites de notre idiome, on apprend aussi à connaître sa force, et l’on sait comment et à quoi on peut l’employer.

L’ouvrage de Diderot[2], surtout dans la première partie, est fort intéressant, et, pour un semblable sujet, il est traité avec une décence des plus édifiantes. Permettez-moi de le garder aussi pendant quelques jours encore.

Il serait bon qu’on pût bientôt mettre le nouveau journal en train ; dans le cas où il vous serait agréable d’ouvrir vous-même la première livraison, je prendrais la liberté de vous demander si vous ne voudriez pas y faire paraître

  1. Il s’agit sans doute du Traité sur l’Imitation artistique du Beau (Ueber bie bilbeube Rachahmung hes Schönen) que Moritz publia au retour d’un voyage en Italie, où il s’était rencontré avec Gœthe (1788). Moritz, né en 1757 à Hameln (Hanovre), mort en 1793, se distingua par ses écrits sur l’art ; Goethe s’était lié avec lui d’une étroite amitié, et on croit qu’il inspira la composition du Traité cité plus haut.
  2. Diderot est l’un des écrivains français que les Allemands ont le plus goûté ; il avait inspiré en partie la réforme dramatique de Lessing ; il excite l’enthousiasme de Schiller, qui va jusqu’à excuser les moins excusables écarts de son génie, y voyant toujours quelque chose de poétique, d’humain et de naïf. (Voir la dissertation de Schiller sur la poésie naïve et sentimentale.)