Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/111

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bière de Torgau, et Mélanchthon d’avoir idolâtré la soupe à l’orge ? Que pourrait dire Henri IV de sa passion pour les melons ? Tout au plus s’abriter derrière l’exemple de quatre monarques plus grands que lui, de Voltaire et de Napoléon qui aimaient le café à l’excès, de Charlemagne qui estimait particulièrement les rôtis de venaison, et de Frédéric le Grand qui mettait au-dessus de tout la lourde polenta. Avec ce rigorisme de morale, nous n’avons plus qu’à enlever leur glorieuse auréole aux sages qui nous ont instruits, parce que Lessing était un sectateur fanatique des lentilles, parce que Kant affectionnait sans retenue le pudding au lard à la pomérannienne et les pois secs aux pieds de porc, parce que Wieland était sans cesse à la recherche des petits fours. Découronnons aussi tout de suite de leur laurier consacré les poëtes qui charment notre imagination, parce que Klopstock adorait les pâtés truffés, parce que Schiller ne pouvait se passer de jambon, parce que Gœthe était un partisan hors ligne du champagne, et parce que le Tasse avait poussé l’amour des plats doux jusqu’à manger la salade avec du sucre. Si la gloire de ces grandes figures, de ces fortes têtes, n’a reçu aucune atteinte de ces fautes vénielles, comment la dignité des bons bourgeois de la vieille Alsace se trouverait-elle offensée par le tableau que je présente de leur vie intérieure et de leurs prouesses de table ?

Il ne reste donc plus qu’à édifier mes critiques sur la certitude historique de la tradition qui a constamment représenté les Alsaciens comme une race particulièrement sensible aux dédommagements de la cuisine et aux consolations d’une bonne cave.

L’Alsace était une terre germanique ; c’est tout dire. L’immortalité que les Germains se promettaient dans le Walhalla n’avait d’autres plaisirs que des festins éternels et d’éternels combats. Les fameuses ghildes qui associaient les guerriers étaient marquées par des sacrifices communs et des banquets solennels. Les souverains mérovingiens et carlovingiens avaient soin d’entretenir le dévouement des leudes et des gens de guerre par des présents et