Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la Providence avait daigné répandre sur leur patrie. Je pensais qu’en les voyant à l’œuvre, et dans le fonctionnement régulier de leur vie, personne ne concevrait le moindre doute ni sur la portée de leurs dispositions naturelles, ni sur la puissance de leurs aptitudes traditionnelles ou natives. Je me trompais. Des critiques, indulgents pour la forme que j’ai préférée, et qui excusent gracieusement l’imperfection scientifique de ce travail, ont pensé que le point d’honneur alsacien était blessé par ce genre d’indiscrétions historiques. Cette susceptibilité est originale et elle vaut qu’on s’y arrête et qu’on cherche à la calmer. Les champions de ce nouveau point d’honneur national ne veulent point que la postérité soit exposée à croire que les anciens Alsaciens aient eu plus de propension aux plaisirs matériels que les anciens Francs-Comtois ou les anciens Lorrains, et que leur appétit ait été plus franc et plus solide que celui des nations voisines. Je n’examine point si ce patriotisme délicat mérite d’être loué et s’il y aurait quelque profit pour notre bonne renommée à ce que nous pussions passer pour une race spiritualiste et séraphique, au lieu de passer pour une race de bons vivants, comme nous le sommes de fait. Ne voilà-t-il pas un beau malheur que l’Alsacien soit un vaillant dîneur et un buveur intrépide ? Qu’en peut-il ? S’en plaint-il seulement ? Est-ce qu’un loyal appétit est une note infamante ? Aucune philosophie n’a encore osé le dire, pas même la pythagoricienne, la plus débile et la moins substantielle de toutes les philosophies dans l’opinion alsacienne. La tempérance est une vertu, mais un appétit exigeant n’est pas un crime. C’est un état physiologique. À quoi cela tient-il ? À la vulgarité des idées générales, au dédain des spéculations de la pensée, à la négligence de la culture morale ? Nullement. C’est une question de latitude, de climat, et l’on peut ajouter de mœurs publiques et d’habitudes sociales. Si la morale pouvait descendre jusqu’à discuter ces inoffensives faiblesses des individus et des peuples, nous verrions de grands et respectables philosophes dans un sérieux embarras. Comment Luther s’excuserait-il d’avoir tant aimé la