Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Qui l’aurait pensé ? la tarte à la crème, avant d’égayer une comédie de Molière, a joué, tout près de nous, son petit rôle dans le système féodal. Le chapitre de Galilée (Saint-Dié) ayant résolu au douzième siècle de fonder une ville autour du monastère, les habitants du village de Moriville envoyèrent dans la nouvelle cité une colonie. Le chapitre fit des sacrifices pour repeupler ce petit village qui lui fournissait beaucoup de blé ; entre autres moyens qu’il employa, il abandonna au monastère de Blainville les redevances qu’il possédait dans ce lieu, en échange d’une tarte à la crème, faite avec la fleur d’un grand bichet de froment, à livrer annuellement aux gens de Moriville. Le dimanche gras, un échevin de Moriville allait recevoir cette tarte au nom du chapitre de Galilée, la faisait transporter en cérémonie dans son village, et la partageait entre les mariés de l’année et les nouveaux habitants[1].

Je remarque avec chagrin qu’il n’a pas toujours été commode, dans notre pays, d’aspirer à la tarte. D’après la Tax-Ordnung, de Strasbourg, de 1646, les pâtissiers vendaient une tarte d’amandes 15 à 16 schillings, et une tarte aux raisins de Corinthe 10 schillings ; la Tax-Ordnung a beau ajouter qu’elles seront bonnes et grandes, ces prix ne représentent pas moins une valeur de 5 fr. et de 7 fr. 50 c. de notre monnaie.

Les beignets jouissaient anciennement d’un grand crédit et présentaient une variété où le goût moderne ne ferait que des choix très-circonspects. Outre les espèces comprises dans la nomenclature empruntée à Buchinger, je citerai encore les beignets aux pommes, ceux aux cerises, ceux aux pruneaux, les beignets au vin, les beignets à la rose, les beignets au sucre (Zuckerstrauben), les Pfüttele, les Bauernstræublein ; tout l’ordre des stribles, à calibres différents, qui s’est nationalisé dans le pays de Belfort ; les vicques de Pérouse ; les beignets aux écrevisses, aux fleurs de sureau, aux côtes de rhubarbe ; cette dernière espèce a encore des partisans

  1. Gravier, Histoire de Saint-Dié, p. 109.