de l’existence privée. Il a une place d’honneur dans la plus belle des prières chrétiennes ; la philosophie appelle la science le pain de l’esprit et la morale le pain de l’âme, et la religion a caché le Dieu rédempteur du monde dans le symbole touchant de la nourriture universelle. Aussi le pain est-il sacré. La mère chrétienne apprend à son jeune enfant à le respecter ; dans les campagnes, il est rare qu’on entame un pain sans le marquer du signe le plus vénérable de la foi. Le pain est un don de Dieu. Sa profanation est un péché. Dans les vieilles légendes populaires, le pain du mauvais riche, qui refusait de le partager avec les malheureux, était transformé en pierre. Une tradition du Harz raconte que de jeunes garçons ayant une fois osé maudire leur pain et le fouler aux pieds, le pauvre pain saigna et rougit la terre : mythe poignant où apparaît dans toute sa profondeur la croyance du peuple en la sainteté du pain. Dans nos usages alsaciens, ce n’était pas manquer au sentiment de vénération que méritait le pain que de le partager avec certains animaux ; l’on pouvait en jeter les miettes aux poules, en donner aux chiens et aux chevaux ; mais c’était une profanation impie d’en nourrir les pourceaux, qui étaient des bêtes impures, comme nous l’apprend la légende nationale du mauvais riche de Dettwiller.
Il y avait dans ce village un paysan opulent, mais dur et avare, parcimonieux pour ses domestiques et impitoyable aux pauvres. Quand de malheureux affamés mendiaient à sa porte les restes du pain de sa table, il les chassait en blasphémant et commandait qu’on portât ces restes dans l’auge de ses pourceaux. Après sa mort, sa maison fut infestée de bruits mystérieux. On y entendait le pas lourd d’un animal et des grognements de porc. Un exorciste fut appelé. Il reconnut que l’esprit du mauvais riche vaguait, tourmenté et maudit, dans la maison, et qu’il réclamait une auge neuve à l’étable. Elle fut faite. Mais les pourceaux devinrent comme furieux au contact de leur nouveau compagnon. L’exorciste revint et relégua le fantôme dans un champ écarté et silencieux qui envoie encore