Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les préjugés populaires ou savants reconnaissaient certains privilèges mériteraient d’être approfondies. Elles fourniraient de curieuses révélations. Nous nous ferions peut-être une juste idée de la rareté et du prix des épices, au septième siècle, en apprenant que Bède le Vénérable distribua, avant de mourir, aux prêtres de son monastère de Jarrow, les épices qu’il possédait dans sa cassette[1] ; nous nous rendrions compte que l’abus que l’on en faisait encore au dix-septième en voyant la reine de Pologne, Louise de Gonzague, diminuer sur le budget de sa maison une dépense de 7,000 écus dans le chapitre affecté à l’achat du poivre[2] ; nous demanderions pourquoi le seigneur de Falkenstein achetait, en 1374, huit quintaux de safran à une société de marchands bâlois[3] et ce qu’il comptait en faire ; chemin faisant, nous apprendrions que, jusqu’au seizième siècle, les pharmacies suisses et alsaciennes étaient en possession de fournir à la table et à la cuisine de nos pères les confitures, les électuaires, les liqueurs, le sucre, les vinaigres précieux et délicats, les huiles fines, les vins factices (Künstliche Weine), les aromates et les épices exotiques ; que la ville de Bâle s’est enrichie en cherchant ces denrées à Lyon et en les revendant à l’Allemagne concurremment avec Nuremberg et Augsbourg ; qu’au dix-septième siècle les habitants de Mulhouse faisaient venir toutes leurs épices de Bâle ; que plus tard les épiciers de Rouffach, d’Ensisheim et de Thann approvisionnaient Mulhouse en se rendant régulièrement sur ses marchés ; qu’enfin cette ville n’eut ses épiciers propres et attitrés[4] qu’en 1720 ; que c’est de la même époque que date, dans toute notre Alsace, la constitution régulière de ce commerce important qui fut, dans l’origine, exploité par des Piémontais, des Milanais et des Tessinois, dénommés sous le titre générique d’Italiens, et qui ont laissé à leurs boutiques la qualification encore en usage dans le

  1. Ozanam, Œuvres complètes, t. IV, p. 392.
  2. Tallemant des Réaux, Historiettes, t. IV, p. 185.
  3. Basel im vierzehnetn Jahrhund., p. 58.
  4. Mieg, Gech. Mülhausens, t. Ier, p. 303.