Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/256

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respecta les antiques priviléges de saint Antoine. Jusqu’à des temps bien voisins du nôtre « des pèlerins qui avaient foi en saint Antoine venaient presque chaque jour pour l’invoquer, et, pour se le rendre favorable, ils déposaient au pied de sa statue des offrandes d’une étrange nature : des jambons, des saucisses, des morceaux de lard, des andouilles, etc., dont le propriétaire de l’ancien couvent faisait son profit[1] ». Mais le curé Danjoutin s’avisa de trouver quelque incorrection canonique dans ce mode de rester fidèle aux saines traditions du passé. Il réprimanda son paroissien, M. Keller, et lui fit comprendre qu’un pécheur du siècle n’avait pas le droit de recueillir les hommages adressés à un saint de l’ancien régime. M. Keller enleva l’attractive statue de saint Antoine ainsi que l’image du quadrupède qui l’accompagnait ; s’il y perdit en ne trouvant plus déposées contre sa maison les marques de la piété des fidèles, il y gagna de vérifier la solidité de cet aphorisme philosophique : Sublata causa tollitur effectus.

La cuisine avait tellement pris sa place dans toutes les branches de la superstition populaire, que la crédulité des vieux âges en avait imaginé une, exceptionnelle et immonde, pour les fêtes impies qui réunissaient les sorcières. Quand les sorcières alsaciennes tenaient, sous la présidence du diable, leur maître et leur amant, leurs assises impures et voluptueuses au Bollenberg, au Bastberg, au Bischenberg, au Frowald d’Oberbronn, à la Hellmatt de Saverne, au Zimmerplatz de Châtenois, au Würzelstein de Munster, à la Frauenau d’Ensisheim, ou en d’autres lieux maudits, elles couronnaient d’ordinaire les rondes de leur bal magique par un festin, une orgie, ou les noces sacrilèges d’une nouvelle initiée. Dans ces agapes diaboliques qu’échauffait la luxure terrestre et où régnait la toute-puissance maléfique du prince des ténèbres, le sel, symbole antique et religieux de la sagesse, était absolument banni. Sa présence eût rompu la sombre féerie du sabbat et dissipé l’incantation qui enveloppait d’une fièvre surnaturelle ces bacchantes

  1. Corret, Histoire de Belfort, p. 209.