Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/255

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table aux êtres surnaturels créés par sa propre imagination ? Dans le pays de Ferrette, comme dans presque toute l’Allemagne, on croyait aux nains familiers. Ils aidaient les ménagères dans les travaux de la maison. Aussi aux fêtes de village, aux noces et autres grandes occasions de réjouissance, on assignait à ces hôtes invisibles les premières places et on leur servait les meilleurs morceaux et le vin le plus doux[1].

Les kobold, les nains et les gnomes avaient l’avantage de n’être que des convives imaginaires. Ils ne faisaient sur les mets qu’on leur offrait qu’une prélibation idéale ; l’honneur de l’invitation leur suffisait. Les saints du moyen âge paraissent avoir été plus positifs. Le peuple leur présentait, à certaines féries, des offrandes gastronomiques qu’ils abandonnaient généreusement au réalisme actif de leurs serviteurs les moines. Mathias Zell, le curé de Saint-Laurent de Strasbourg, signalait ainsi ces pratiques utiles, en 1523 : « On offre à ce saint du blé, à celui-là du vin, à tel autre du pain, du fromage, des moutons, des porcs, etc. Il en est quelques-uns qui sont assez vertueux et assez accommodants pour accepter tout sans distinction. Quoique l’usage commande d’honorer saint Valentin par le don d’une poule, ses serviteurs ne refusent pas d’agréer un bœuf, voire même un porc, bien que cet animal soit spécialement l’offrande propre à saint Antoine[2]. » Ce saint possédait à Froideval, près de Belfort, un monastère où aucun de ses bienheureux confrères ne se serait permis de faire concurrence à ses droits légitimes. Il y reçut pendant des siècles les témoignages de la vénération et de la reconnaissance populaires, non sous le voile mystique de vœux et de prières, mais sous la forme concrète et substantielle de denrées alimentaires. La Révolution ne détrôna pas complétement ce pieux usage. Elle vendit, à la vérité, le monastère des Antonites de Froideval comme domaine national ; mais le profane acheteur de ce domaine

  1. Stœber, Sagen des Elsasses, p. 5.
  2. Zell, Christliche Verantwortung. Strasbourg, 1523. In-4°, p. 37.