Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/284

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que le soir du même jour la cour soupa au château de Saverne, « que les tables furent servies avec autant de profusion que de magnificence aux dépens du cardinal, et que son Éminence donna au duc d’Orléans, dans son petit château, un grand souper où assistèrent tous les seigneurs et quelques dames de la cour ». Vous ajoutez, à la vérité, « que ce souper peut s’appeler sans exagération un festin royal, par son abondance, sa bonté, sa magnificence, et que M. le duc d’Orléans parut en être très-content[1] ». Je le crois sans peine, mais nous aurions voulu juger de plus près des causes de la haute satisfaction d’un homme tel que le régent.

Parlez-moi de gens comme cet indiscret de Tallemant des Réaux qui vous fait toucher les choses du doigt et déshabille ses personnages jusqu’au vif. Ouvrez-le au hasard. Ici, il vous montrera l’amiral de Brezé faisant fermer les portes de Brouage, dont il était gouverneur, pendant le temps de son dîner, afin de ne pas courir fortune d’être dérangé[2] ; là, il nous apprendra que l’archevêque de Bourges, Renaud de Beaulne, était d’un tempérament si chaud qu’il avait besoin d’un aliment presque continuel pour entretenir sa santé, qu’il faisait sept repas par vingt-quatre heures : à une heure après minuit, à quatre heures du matin, à huit heures, à midi, à quatre heures, vers huit heures du soir, et un médianoche avant de se coucher[3] ; qu’un autre archevêque, celui de Reims, Éléonore d’Étampes de Valençay, avait poussé la virtuosité gastronomique au point de devenir un véritable « pédant de bonne chère » ; aussi ne pouvait-il pardonner à un certain Martin qui vivait de son temps, « autre happeur », dit Tallemant, de mettre du persil sur une carpe, et ne trouvait-il rien de si ridicule que de servir une bisque aux pigeonneaux après Pâques[4]. Le feu électeur de Hesse-Cassel, dont j’ai déjà

  1. Daudet, Journal historique du mariage de la Reine. Paris, in-12, p. 111.
  2. Historiettes, t. III, p. 141.
  3. Idem, t. IV, p. 231.
  4. Idem, t. VI, p. 181.