Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

parlé, avait, encore de nos jours, de ces dits notables ; il n’aurait, pour rien au monde, mangé des bécasses avant le quatrième dimanche qui précède Pâques, et il formulait cette règle dans ce beau distique :


Oculi,
Da kommen sie.

(Oculi, c’est le moment où elles viennent.)

Pourquoi Tallemant entre-t-il dans ces détails, et le chevalier Daudet les dédaigne-t-il ? C’est que Tallemant était un peintre, et Daudet un greffier de maître de cérémonies. La différence est grande, et elle existe pareillement entre les hommes de génie et les hommes qui n’ont que du talent. Molière et La Fontaine ne se refusent pas aux détails de la cuisine ; vous n’en trouverez pas un chez Casimir Delavigne ou chez Alexandre Soumet. Le génie de Gœthe ne pensait pas déroger en semant dans ses Mémoires tant d’observations sur la vie familière ; l’artisan Bois-de-Chêne, de Montbéliard, était plus délicat. Il notait de préférence les choses qui avaient un air aristocratique. Voyez plutôt. Racontant sa campagne de France, en 1792, Gœthe écrit ce passage : « Nous partîmes pour Landres, village où on allait transporter le camp. Chemin faisant, notre régiment avait fait halte dans un petit bois nouvellement abattu et allumé un grand feu autant pour se chauffer que pour faire la cuisine. Lorsque nous le rejoignîmes, le dîner était prêt et les tables dressées. Mais les chariots qui menaient les bancs n’arrivaient point et l’on fut forcé de manger debout, ce qui nuisit beaucoup au coup d’œil de cet immense repas en commun[1]. » Comprenez-vous cette armée prussienne qui envahit la France en traînant après elle des tables et des bancs pour dîner à l’aise ? Et n’est-il pas intéressant d’entendre le grand poëte regretter qu’il ait manqué quelque chose au tableau d’un régiment qui dîne ? Bois-de-Chêne a des impressions

  1. Mémoires de Gœthe, t. II, p. 270.