Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/316

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les places réservées à d’autres, ceux qui s’avisent de mettre les premiers la main aux plats et de se remplir le museau avant que les autres aient commencé. Voyez celui-ci ; il est tellement pressé de manger qu’en soufflant sa soupe il enfle ses joues comme s’il se préparait à enfoncer la grange de son voisin ; celui-là remet au plat ce qu’il a laissé choir ; un autre porte le nez à tous les mets ; cet autre s’engoue à force de boire rapidement ; celui-ci a si goulûment entonné que son nez est transformé en fontaine à vin. En voici qui ont la bouche tellement remplie qu’on la croirait bourrée de paille et ils roulent les yeux en tous les sens, comme des singes. Je n’approuve point qu’on fasse du bruit en buvant, ni qu’on tire le vin à travers les dents ; ces bruits sont fâcheux. Il en est qui font autant de vacarme en buvant que les vaches en rentrant du pâturage. S’essuyer les doigts à la nappe, s’accouder, se balancer, remuer la table, mettre les quatre quartiers sur la table comme la fiancée de Geispolsheim, maculer son pain avec les sauces, prendre du sel avec son couteau qui a servi on ne sait à quoi, au lieu de le prendre avec les doigts, sont des actions messéantes ; je pourrais faire une légende complète, une véritable Bible de ces vilains usages[1]. »

Les détracteurs de la démocratie mettront sans doute cet amas de malhonnêtetés au chapitre du passif des mœurs populaires, et diront dédaigneusement qu’il a toujours été à peu près impossible d’acclimater des usages décents et polis dans les classes inférieures de la société. J’ai de quoi les rendre modestes et leur prouver que les gentilshommes ne portaient pas plus de finesse et de décorum dans leurs façons que les rustres du Kochersberg ou du Sundgau. Une ordonnance autrichienne de 1624, ayant force et vigueur dans le landgraviat de la Haute-Alsace, contient des règles de conduite à l’usage des cadets ou jeunes officiers qui étaient invités à dîner chez un archiduc d’Autriche.

Qu’on juge quelles ont dû être les belles manières de la noblesse

  1. Brant, loc. cit., p. 286.