Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/323

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Dieu, ait tant assombri la mort et lui ait donné un si lugubre cortège ? Cela pourrait bien venir de la terrible poétique qui a présidé à la liturgie mortuaire et par conséquent de la prépondérance qui a été donnée au culte extérieur sur la pensée intime, à l’imagination sur le sentiment, à la figure sur le verbe. Nos mœurs, développées sur les deux rameaux latin et germanique, ont retenu assez de leur sève originale pour que les antiques traditions épulaires s’y pussent allier aux impressions luctueuses et que la table de festin ne fit point scandale au milieu de l’appareil des obsèques. La mort eut ses agapes comme la vie.

Au moyen âge, ces banquets portaient en Alsace le nom de Lipfel[1]. Ils étaient presque toujours une occasion de folles dépenses et d’ostentation. Plus on voulait honorer le défunt et montrer l’étendue de la perte qu’on avait faite, plus on agrandissait la table et on la chargeait de plats gigantesques et de hanaps monstrueux. Ces festins dégénérèrent en de si violentes orgies que le Magistrat de Strasbourg les interdit sévèrement au milieu du quinzième siècle[2], bien longtemps avant la Réforme. La scandaleuse dispute de l’Ultimum vale entre les ordres mendiants et le clergé paroissial (Leut-priester, plebani) ne fournissait que trop de motifs pour frapper ces saturnales que les excès, l’ivresse, la gaîté et les bouffonneries revêtaient de je ne sais quel air sacrilège et satanique.

Jérôme Gebwiler a remarqué l’importance des repas d’enterrement à son époque, chez nous[3]. La Coutume de Ferrette, rédigée en 1567, les réglemente dans les dispositions suivantes : « Comme il était d’usage jusqu’ici que, lors des services funèbres célébrés pour un défunt, tous les habitants d’une commune, après avoir été à l’église, se donnaient rendez-vous dans les auberges et faisaient de fortes dépenses à la charge des communes,

  1. Lipfel, Convivium quod die exsequiarum olim habebatur. — Scherz, Clossar, p. 397, ex Leibfall, corruptum.
  2. Kœnigshoven-Schilter, Chronick, p. 1132.
  3. Gebwiler, Panegyr. Carolina, p. 15.