Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/73

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du carême, la modicité des fortunes, tout concourait à propager cette alimentation malsaine dont le hareng et la morue, fournis par les Pays-Bas, faisaient la base principale. Nos chroniques nous révèlent qu’il y eut des époques où le peuple se dégoûta totalement et irrésistiblement de ce régime, et ne voulut plus se nourrir de salaisons maritimes. Mais quand les Armagnacs du dauphin de France vinrent désoler l’Alsace, en 1444, ils remirent le hareng en crédit. Ces scrupuleux observateurs du maigre furent très-désappointés de reconnaître que le hareng était rare en Alsace. Aussi l’achetaient-ils à des prix fous, 4 ou 5 pfennings la pièce. Ils échangeaient des prisonniers contre des quantités déterminées de harengs, et troquaient, but à but, un mouton contre un de ces poissons[1]. Il est vrai que les moutons étant volés aux paysans de nos campagnes, en somme, ils respectaient le sixième commandement de l’Église à bon marché.

Les crustacés font une suite logique du poisson. L’Alsace avait des écrevisses exquises. Tous les ruisseaux en fournissaient, ceux de la plaine aussi bien que ceux des montagnes. Celles de la Brusche ont toujours été fort belles, et j’en ai vu, il y a quelques années, qui ne pouvaient que donner une haute idée de leurs devancières dans un temps où la persécution commerciale n’entravait ni leur reproduction ni leur développement. La Scheer de Hindisheim en fournissait d’excellentes. Mais les meilleures, les plus délicates, les plus grandes venaient de l’Ill. Le savant Jérôme Gebwiler n’a pas craint qu’il s’abaisserait en le remarquant : « Cujus cancer laudatissimus in pretio habetur[2] », dit-il ; laudatissimus, vous l’entendez, l’épithète ne lui paraît pas trop forte. Elles étaient bonnes partout ; cependant elles prospéraient particulièrement dans certains parages que la tradition et l’histoire nous font connaître, par exemple, à Rathsamhausen, à la Wantzenau et à Nordhausen. Ichtersheim dit de ce dernier village qu’il fournit les «

  1. Kœnigshoven-Schilter, Anmerkung, p. 948.
  2. Gebwiler, Panegyris Carolina, p. 20.