Page:Gérard - L’Ancienne Alsace à table, 1877.djvu/74

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écrevisses les plus renommées du pays[1] ». En 1646, le cent de grosses écrevisses se vendait à Strasbourg au prix de 5 schillings[2]. Les Parisiens, qui nous enlèvent aujourd’hui les belles pièces que l’on trouve encore çà et là, les payent 50 francs le cent et quelquefois plus cher.

Il n’est point surprenant que l’affluence de tant de richesses sur le marché de poissons de Strasbourg ait illustré cet ancien entrepôt ichthyologique de l’Alsace. Wimpheling compte au nombre des choses qui décorent cette cité et contribuent à la gloire, de posséder en tout temps des poissons vivants[3] et d’avoir un magnifique et opulent marché où sont exposés les produits de la pêche[4], et J. Gebwiler le décrit en ces termes : « Son marché abonde en poissons de prix et en poissons communs. Là, le riche peut satisfaire sa sensualité gourmande et le pauvre pourvoir à sa faim. L’on trouve aussi à acheter en ce lieu toutes les denrées qui ne contribuent que trop souvent aux excès de la bonne chère dont les séductions entraînent à des dépenses ruineuses beaucoup de gens de petite condition[5]. » Ces remarques sont justes. Le gibier des forêts, haut et bas, les oiseaux indigènes ou voyageurs, et autres raretés alimentaires, étaient mis en vente sur ce marché, véritable musée culinaire. Les anciens Strasbourgeois y faisaient régulièrement leur ronde, et cette habitude a survécu chez les vrais fidèles, même depuis que l’ancien marché a été supprimé et transféré dans une halle moderne.

Les meilleures institutions se dénaturent à la longue, et l’esprit mercantile n’est pas le dernier à les corrompre. Au dix-huitième siècle, le poisson des eaux dormantes entre en concurrence avec celui des eaux salubres et vives. Les propriétaires des nombreux

  1. Ichtersheim, Topogr. des Elsasses, Ire partie, p. 49.
  2. Strassburger Tax-Ordnung von 1646.
  3. À Bâle on appelait Schelmenbænke les étaux où devait être exposé le poisson mort. Spreng, Ursprung von Basel, p. 36.
  4. Wimpheling, Tutschland, édition de 1648, in-fol., ff. 21.
  5. J. Gebwiler, Panegyris Carolina, p. 28.