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JEAN RIVARD

vieille Europe un si grand nombre de jeunes gens préfèrent vivre dans le célibat et le libertinage que se choisir une compagne pour la vie. Une femme légitime est un objet de luxe, un joyau de prix dont les riches seuls peuvent ambitionner la possession.

« On peut à peine aujourd’hui apercevoir une différence dans le degré de fortune des citoyens. Le jeune commis de bureau, dont le revenu ne dépasse pas deux ou trois cents louis par an veut paraître aussi riche que le fonctionnaire qui en a six cents : sa table est aussi abondamment pourvue ; il a, comme lui, les meilleurs vins, la vaisselle la plus coûteuse ; la toilette de sa femme est tout aussi coûteuse ; leurs enfants sont parés avec le même luxe extravagant. Et pourquoi y aurait-il une différence ? Ne voient-ils pas la même société ? Ne sont-ils pas journellement en contact avec les mêmes personnes ? Comment une jeune et jolie femme pourrait-elle se résigner à vivre dans la retraite, lorsqu’elle a déjà eu l’honneur de danser avec l’aimable colonel V***, avec le beau Monsieur T***, de recevoir des compliments de l’élégant et galant M. N*** ? C’est à en faire tourner la tête aux moins étourdies. Aussi le jeune couple ne fera-t-il halte sur cette route périlleuse que lorsque le mari ne pourra plus cacher à sa belle et chère moitié qu’il a trois ou quatre poursuites sur les bras, que leurs meubles vont être saisis et vendus, s’il ne trouve immédiatement cinquante louis à emprunter.

« Je te ferai grâce de ce qui se passe alors assez souvent entre lui et les usuriers.

« Quand les cultivateurs viennent à la ville vendre leurs denrées ou acheter les choses nécessaires à leur