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ÉCONOMISTE.

Trouvez-lui donc un seul défaut, s’écriait souvent Françoise, en s’adressant à Louise ? et celle-ci avait toutes les peines du monde à calmer l’enthousiasme de sa servante.

Pierre Gagnon n’ignorait probablement pas tout-à-fait les sentiments de Françoise à son égard, mais il feignait de ne pas s’en douter, et se contentait le plus souvent, lorsqu’il l’apercevait de loin d’entonner le refrain bien connu :

C’est la belle Françoise,
       Allons gué.
C’est la belle Françoise…

Pierre Gagnon ne chantait pas bien, il avait même la voix quelque peu discordante, ce qui n’empêchait pas Françoise de se pâmer d’aise en l’écoutant. De même, lorsque le soir, pour se reposer de ses fatigues du jour, il faisait résonner sa bombarbe, c’était pour elle une musique ravissante.

Le véritable amour, l’amour sérieux, profond, a semblé de tout temps incompatible avec la gaîté ; et l’on est porté à se demander si celui qui plaisante et rit à tout propos est susceptible d’aimer et d’être aimé. Assez souvent l’amour est accompagné d’un sentiment de tristesse ; on va même jusqu’à dire que l’homme le plus spirituel devient stupide quand cette passion s’empare de lui.

On pourrait croire d’après cela que Pierre Gagnon n’était pas réellement amoureux, car il est certain qu’il ne manifesta jamais la moindre disposition à la mélancolie. Mais en dépit de toutes les observations des philosophes et de tout ce qu’on pourrait dire au contraire, j’ai toute raison de croire qu’au fond