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JEAN RIVARD

du sort, venaient de dire adieu à leurs petits enfants pour aller gagner quelque part le pain nécessaire à leur subsistance. À côté de plusieurs de ces pauvres femmes, presque en haillons, au regard inquiet, à l’air défaillant, je vis passer tout-à-coup deux jeunes demoiselles à cheval, en longue amazone flottante, escortées de deux élégants cavaliers. Ce contraste m’affligea, et je rentrai chez moi tout rêveur et tout triste.

« Et combien d’autres contrastes se présentent encore à la vue ! Combien de fois n’ai-je pas rencontré le prêtre, au maintien grave, à l’œil méditatif, suivi du matelot ivre, jurant, blasphémant et insultant les passants ! la sœur de charité, au regard baissé, allant porter des consolations aux affligés, côtoyée par la fille publique aux yeux lascifs, qui promène par la rue son déshonneur et son luxe insolent !

« Si des grandes rues de la ville je veux descendre dans les faubourgs, de combien de misères ne suis-je pas témoin ! Des familles entières réduites à la dernière abjection par suite de la paresse, de l’intempérance ou de la débauche de leurs chefs, de pauvres enfants élevés au sein de la crapule, n’ayant jamais reçu des auteurs de leurs jours que les plus rudes traitements ou l’exemple de toutes les mauvaises passions ! Oh ! combien je bénis, en voyant ces choses, l’atmosphère épurée où vous avez le bonheur de vivre !

« Le manque d’ouvrage est une source féconde de privations pour la classe laborieuse. Un grand nombre d’ouvriers aiment et recherchent le travail, et regardent l’oisiveté comme un malheur ; mais, hélas ! au moment où ils s’y attendent le moins, des entreprises