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ÉCONOMISTE.

sont arrêtées, de grands travaux sont suspendus, et des centaines de familles languissent dans la misère.

« Ces contrastes affligeants n’existent pas chez vous. Si les grandes fortunes y sont inconnues, en revanche les grandes misères y sont rares. Le luxe du riche n’y insulte pas au dénuement du pauvre. Le misérable en haillons n’y est pas chaque jour éclaboussé par l’équipage de l’oisif opulent.

« Tu te rappelles sans doute la réponse que fit un jour l’abbé Maury à quelqu’un qui lui demandait s’il n’avait pas une grande idée de lui-même : « quand je me considère, dit-il, je sens que je ne suis rien, mais quand je me compare, c’est différent. » C’est absolument le contraire pour moi. Quand je compare notre vie à la vôtre, je suis accablé sous le poids de notre infériorité. Que sommes-nous, en effet, nous hommes du monde, esclaves de l’égoïsme et de la sensualité, qui passons nos années à courir après la fortune, les honneurs et les autres chimères de cette vie, que sommes-nous à côté de vous, héros de la civilisation, modèles de toutes les vertus, qui ne vivez que pour faire le bien ? Nous sommes des nains et vous êtes des géants.

« Mais qui t’empêche, me diras-tu, de faire comme nous ? Mieux vaut tard que jamais. Oui, je le sais, mon ami ; mais, malgré mon désir de vivre auprès de vous, plusieurs raisons me forcent d’y renoncer pour le présent. D’abord, je ne pense pas, quoique tu en dises, que votre localité soit assez importante pour y faire vivre un avocat. Et pour ce qui est de me faire défricheur à l’heure qu’il est, ma santé, mes forces musculaires ne me permettent pas d’y songer.

« Entre nous soit dit, l’éducation physique est trop