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LE DÉFRICHEUR.

à recevoir de personne autre chose que des conseils, il lui fallait, pour faire son chemin dans la vie, se reposer uniquement sur ses propres efforts. Or, disons-le à regret, l’instruction qu’il avait acquise, bien qu’elle eût développé ses facultés intellectuelles, ne lui assurait aucun moyen de subsistance. Il pouvait, à la rigueur, en sacrifiant son petit patrimoine, terminer son cours d’études classique, — et c’est ce que désiraient sa mère et ses autres parents, — mais il se disait avec raison que si sa vocation au sacerdoce n’était pas bien prononcée, il se trouverait après son cours dans une situation aussi précaire, sinon plus précaire que s’il n’eût jamais connu les premières lettres de l’alphabet.

La première chose qu’il décida fut donc de discontinuer ses études collégiales. Mais ce n’était pas là le point le plus difficile ; il lui fallait de plus faire choix d’un état, démarche grave qu’un jeune homme ne peut faire qu’en tremblant, car de là dépend le bonheur ou le malheur de toute sa vie.

Le suprême ordonnateur de toutes choses a réparti chez ses créatures une diversité de talents et d’aptitudes conformes aux besoins des sociétés. Mais des circonstances particulières, une famille nombreuse, une grande gêne pécuniaire, le défaut de protection, et mille autres raisons forcent, hélas ! trop souvent, de malheureux jeunes gens à embrasser une carrière où ils ne rencontrent que misère et dégoût. Trop souvent aussi, résistant à l’instinct qui les pousse vers un genre de vie plutôt que vers un autre, ils se laissent guider dans leur choix par des considérations de convenance, ou qui pis est, par une absurde et pernicieuse vanité.