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LE DÉFRICHEUR

déroulaient à ses regards. Quoique à une assez grande distance il pouvait distinguer parfaitement la maison de sa mère, avec le hangar, le fournil, la grange et les autres bâtiments de la ferme nouvellement blanchis à la chaux, ainsi que la maison de brique voisine, celle du père François Routier, et les arbres du jardin. Ce spectacle, intéressant même pour un étranger, était ravissant pour Jean Rivard. Il lui passa comme un frisson de joie par tout le corps, il sentit son cœur se dilater de bonheur, et partit de suite à travers champs, fossés et clôtures pour se rendre à la maison paternelle. Il était léger comme l’air et semblait voler plutôt que marcher.

À mesure qu’il approchait des habitations, il entendait plus distinctement les voix humaines et les cris des animaux ; peu à peu certains sons qui ne lui étaient pas étrangers vinrent frapper ses oreilles ; bientôt même il se sentit comme électrisé par le jappement de « Café, » le vieux chien de la maison et son ancien ami, qui allait et venait de tous côtés, se démenant en tous sens, sans qu’on pût savoir à qui il en voulait. Le bon chien ne cessa de japper que lorsque, accourant derrière la maison, il reconnut son ami d’enfance qu’il n’avait vu depuis si longtemps ; il l’accabla de témoignages d’amitié, l’empêchant presque d’avancer à force de frôlements et de caresses. Ce bon animal descendait probablement d’Argus, le fameux chien qui reconnut son maître Ulysse après vingt ans d’absence et dont le divin Homère a fait connaître l’histoire à la postérité.

Comme on vient de le voir, la maison de la veuve Rivard étant bâtie sur le côté sud du chemin, c’était par le côté faisant face au fleuve que Jean devait